par Céline CLAIRICIA
« PROGRESSONS ! », c’est le titre de son tout premier ouvrage. Ecriture, politique, tourisme, sont les secteurs dans lesquels elle a construit son parcours professionnel. Ambitieuse, humble et optimiste, voilà certaines de ses qualités que nous avons souhaité mettre en avant dans cet article. Sans plus attendre, nous avons fait la rencontre inespérée de Karine ROY-CAMILLE. Diplômée d’un BTS Assistante de direction, expérimentée dans le secteur touristique, initiée à la vie politique et maintenant à l’écriture, cette femme, de par son parcours, nous a fait voyager entre la Caraïbe, l’Europe et l’Amérique. Elle a été et restera l’un des principaux acteurs à avoir inscrit la Martinique dans une dynamique touristique propre à son environnement caribéen. En effet, en tant qu’ancienne présidente du Comité Martiniquais du Tourisme, force est de constater qu’elle a permis à l’île aux fleurs d’avoir son regain d’énergie.
Pourquoi écrire un livre maintenant ?
J’ai été amenée à écrire « PROGRESSONS » au terme de mes six années en tant que conseillère régionale en charge du développement touristique. J’ai à mon actif 31 années dans le métier du tourisme. Activité exercée pleinement, j’ai toutefois connu des hauts et des bas, avec tout de même quelques beaux succès, notamment la démocratisation de la croisière aux Antilles Guyane. Forte de cette expérience, on est venu me chercher compte-tenu de mes compétences afin que j’œuvre au mieux pour notre territoire. Nous avons posé des bases plutôt solides, mais tout s’est arrêté brutalement. J’ai eu cependant, par le passé, d’autres opportunités de succès et des avancées en termes de carrière.
A l’issue de ces six ans extrêmement riches et intenses, je me suis retrouvée à l’arrêt total. La politique est certes primordiale mais peut être extrêmement violente. Cette inactivité ne correspondant pas à mon tempérament, je ne voulais surtout pas l’entretenir ! C’est à cet instant que je me suis alors dit qu’il était peut être temps d’écrire. Pourquoi ? Parce que j’aime les mots, parce que j’ai toujours voulu écrire et parce que j’aime lire. J’ai commencé par écrire pour moi seule, en abordant mon expérience politique. Puis, au fur et à mesure, les mots se sont assemblés et rebondissaient entre eux. J’ai donc ouvert le champs des possibles en partageant mon expérience personnelle avec des personnes qui ne connaissaient pas du tout le milieu politique, et d’autres plus généralement, notamment avec la jeunesse martiniquaise qui, à mon sens, souffre beaucoup du manque de confiance en elle. Je voulais montrer par l’exemple de mon propre parcours, qui n’a pas été aussi idyllique qu’on pourrait l’imaginer de l’extérieur, qu’en faisant preuve de volonté, d’envie et de foi, on arrive à soulever des montagnes.
L’autre sujet que j’ai abordé qui me tient à cœur depuis longtemps, est celui de la mixité en Martinique : notre côté créole. On se rend compte qu’il existe des castes encore trop cloisonnées qui, à mon sens, sont un non sens car c’est ce qui fait notre diversité et notre pluralité. Cela ne vient pas que des békés mais de tout un chacun en Martinique qui reste dans son coin, dans sa zone de confort, alors qu’on serait beaucoup plus fort si on s’unissait. Aussi, je pense que l’on pourrait tenir un discours beaucoup plus audible et que nous ne serions pas traités d’enfants gâtés en France hexagonale. Ce livre a été une véritable thérapie pour moi et m’a aidé à faire mon deuil face à l’arrêt brutal de ce mandat.
Comment avez-vous combiné vie privée et vie professionnelle?
C’est une excellente question qui plus est, posée par une femme à une autre femme, ce qui a une résonance autre que lorsqu’il s’agit d’un homme car notre vocation en tant que femme est aussi d’être mère de famille avec davantage de responsabilités que celles d’un homme au sein du foyer, quand bien même les choses tendent à s’équilibrer, fort heureusement !
Très clairement, ce sont beaucoup de sacrifices ! Je n’ai aucun regret de tout ce que j’ai pu faire. Il faut bien considérer la prise d’un poste à responsabilités et encore plus, l’entrée en politique où la population est en attente de résultats, ou lorsque l’on veut redynamiser une activité et générer de l’emploi. Ce n’est pas le hasard qui nous pousse à entrer en politique, ni la volonté d’obtenir un titre. Il faut en être conscient dès le départ et réaliser qu’on engage sa personne ; et j’irai jusqu’à dire qu’on ne s’appartient même plus. On représente un pays et donc on a des responsabilités vis à vis des gens qui nous ont élu ou qui ont élu le groupe auquel nous sommes rattachés. Donc forcément, on n’a plus la même disponibilité pour notre famille. C’est quelque chose de très douloureux car il y a des âges où les enfants ont besoin de leur maman en particulier et nous-mêmes souhaitons partager des moments avec nos enfants.
Cependant, il ne faut pas culpabiliser car ce sont des choix que nous faisons dans la vie. Selon moi, il faut des gens courageux pour faire de la politique et mener à bien de tels projets, donc il faut être accompagnée et épaulée. Je n’ai pas eu de vie personnelle pendant toutes ces années. Cela a été un choix également car on ne peut pas tout bien mener de front. Il y a eu la politique et mon activité professionnelle que je n’ai jamais abandonnée fort heureusement, car il faut toujours garder pied dans la réalité. Il faut alors s’aménager du temps qui ne sera plus quantitatif mais qui doit devenir extrêmement qualitatif avec ses proches et particulièrement avec ses enfants.
Avez-vous eu des difficultés à alterner entre vie professionnelle et vie politique ?
Je n’ai pas fait de politique politicienne mais de la politique de développement. Je suis arrivée à un moment où il a fallu établir un bilan qui a découlé sur une stratégie. Cette dernière s’appuyait sur des équipes qui m’ont aidée à la mener au mieux, tenant compte des réalités de notre pays, du contexte environnemental caribéen, mais également du contexte international. Il a fallu se poser les bonnes questions pour arriver à dérouler le bon programme.
Ne pas arrêter mon activité à cet instant c’était dormir 4 à 5 h par nuit, travailler les week-ends et réduire les vacances à peau de chagrin. Faire des sacrifices pour avoir des regrets ne sert à rien, mais en tirer des satisfactions vaut bien mieux, ce qui est mon cas.
D’où vous est venu le courage de partager autant de choses avec autant d’inconnus ?
J’ai éprouvé ce besoin au fil de la lecture et les choses sont venues avec facilité et émotion. J’ai compris que je ne pouvais les garder pour moi et que d’autres personnes auraient certainement aimé parler de ce qu’elles ressentent. Il y a un moment ou il faut pousser les portes pour faire rentrer la lumière et cela m’a semblé fondamental. Je savais que ce ne serait pas forcément bien perçu par tous. Ceci dit, là ou je suis agréablement surprise c’est que pour l’instant, je n’ai reçu que des retours positifs de tous types de lecteurs. Ce n’est pas une question de courage, ni une mise à nue, mais plutôt une volonté de partager ou de déclencher quelque chose. Beaucoup de lecteurs me contactent pour échanger en me disant qu’ils sont contents d’aborder ces sujets car ce n’est pas facile d’en parler. Je suis contente de l’avoir fait.
C’est d’ailleurs par le biais de personnes comme vous que je me suis rendue compte que j’ai vraiment dévoilé des choses ultra personnelles mais qui font partie de mon parcours et pas que du mien ! Les gens gardent secret leurs origines, la complexité des relations entre martiniquais. Nous ne réalisons même pas la chance que nous avons de vivre avec toutes les communautés (juive, musulmane, pakistanaise, békés, mulâtres…) qui cohabitent parfaitement. Certes, elles sont cloisonnées, mais au final nous sommes une terre d’asile depuis longtemps avec des communautés qui se sont parfaitement adaptées et qui sont devenues martiniquaises à 100%.
Quitter son île après le BAC, parcours typique des jeunes ultramarins. En revanche pour vous, c’est l’inverse qui s’est produit. Qu’avez vous tiré de cette expérience et comment l’avez-vous vécue ?
A six ans, cela a été un véritable déchirement de quitter mon pays. Petite fille du soleil qui partait vivre en Alsace. Même si c’était dans une grande ville et avec ma famille, quitter un pays aussi lumineux a été un moment très difficile. J’ai été un peu morose et ce n’est que bien longtemps après, avec le recul, que j’ai considéré que cela avait été une chance et une opportunité pour moi de vivre d’autres expériences que celles exclusivement de la Martinique. Cela m’a permis d’avoir une ouverture d’esprit que je n’aurais pas eue si j’avais passé toute ma vie sur mon île. C’est bien à un moment donné de vivre autre chose, que ce soit dans la Caraïbe ou en Europe et de ne pas faire de nombrilisme en tant qu’îlien, de voir ce qui se passe ailleurs et de revenir renforcé et aguerri chez soi au pays.
Sur le même concept que les îles Vanille, pensez-vous qu’une collaboration avec la Guadeloupe serait possible?
Le travail partenarial est très important avec d’autres destinations et singulièrement avec la Guadeloupe. Bien sûr, il ne l’est pas sur tous les sujets. Il ne serait pas judicieux de communiquer en France Hexagonale sur ces destinations puisque c’est la même cible. En revanche, nous avons eu l’occasion d’aller démarcher de nouveaux territoires inconnus sur des grands pays d’Europe ou à l’étranger, de sorte de travailler en commun et de mettre nos moyens ensemble. Vous imaginez bien qu’une campagne à l’étranger serait assez difficile. En ce sens, l’harmonisation des budgets serait ingénieuse. Il serait pertinent de démarcher sous une grande ombrelle sous laquelle seraient abritées les Antilles françaises. Il est important de savoir à quel moment on peut travailler en solo et à quel moment on peut travailler en partenariat.
Sous le même principe que les îles Vanille, il s’agirait de pratiquer ce que l’on appelle la multi-destination. Ce n’est pas extrêmement développé car il peut y avoir certains freins au niveau des connexions aériennes. Le duo Martinique/ Guadeloupe peut être intéressant mais on pourrait aussi bien proposer : île francophone/île anglophone, ou île francophone/ île hispanophone.
Nous avions commencé à travailler sur un projet en collaboration avec la partie néerlandaise de St-Martin : The Sint Martinic experience. Il s’agissait alors de proposer un package en valorisant les hébergements centrés surtout sur la clientèle américaine en recherche de fun et de shopping sur St-Martin et en recherche d’histoire et de culture sur la Martinique. Nous avons tout intérêt à collaborer avec d’autres destinations. C’est d’ailleurs ce que fait la CTO en prônant « One sea, one voice, one carribean« .
Vous parlez de confiance, de formation, de votre implication pour la jeunesse. Quels conseils lui donneriez-vous ?
Je pourrais apporter plusieurs éléments de réponse à cette question. D’abord, par mon propre parcours, puisque je n’ai pas pu faire les études que j’aurais souhaitées. Ce n’est pas parce qu’on n’a pas fait d’études qu’on n’a pas le droit de réussir dans la vie quel que soit le projet que l’on peut avoir. Ensuite, par rapport à mes filles, car mon souhait est de les accompagner dans leurs démarches. Puis par rapport à ma profession dans laquelle j’accompagne régulièrement les jeunes. Quel que soit ce que l’on fait, il faut bien le faire. Il faut viser l’excellence, quel que soit le métier.
Potentiellement, nous avons des capacités extraordinaires car nous vivons loin du continent, nous savons nous adapter. Nous savons vivre avec ce dont nous disposons, même si nous pouvons en souffrir parfois. Cette capacité d’adaptation est assez remarquable mais nous n’en sommes pas forcément conscients. Lors de mes prises de parole, des préparations aux examens auxquels j’assiste, ou encore au RSMA où je suis très présente auprès de la jeunesse, mon objectif est de transmettre cette prise de conscience. Nos jeunes manquent tellement de confiance qu’ils n’osent pas faire des choses dont ils sont totalement capables parce qu’ils en sont inconscients. Ils préfèrent se couper d’un succès à venir par peur d’échouer, alors qu’ils ne vont pas échouer.
« Redonner confiance », je le dis chaque fois que j’ai l’occasion de rencontrer des jeunes. J’en ai formés des centaines durant mon parcours professionnel et je n’ai pas terminé. Ce que je veux vraiment leur dire est qu’ils ont un potentiel extraordinaire de par leur parcours, de par leur histoire. Nous avons survécu à tout donc pourquoi nous priver de briller demain ? Pourquoi se persuader que d’autres seront mieux que nous ? Il faut se fixer des objectifs puis établir un plan pour les atteindre, chercher des solutions. Il ne faut pas s’inscrire dans la médiocrité et dans la petitesse. Il faut oser !
« La confiance en soi est la condition de la hardiesse ; il convient d’oser, d’entreprendre, si l’on veut réussir. » Sur ces derniers mots, nous espérons que cette interview, en plus de vous avoir permis de connaitre l’acteur majeur, vous aura donner envie de persévérer dans votre profession et de briller du mieux que vous pouvez.
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