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Jocelyne BEROARD, plus qu’une icône

2 juin 2017 10 commentaires

par Céline CLAIRICIA

Véritable icone musicale, elle fait partie sans conteste des personnalités incontournables de la Martinique. Face à un tel succès, c’est avant tout une femme humble qui nous livre son rapport à la jeunesse et ainsi que de précieux conseils pour réussir dans le milieu musical. Amis mélomanes, laissez-vous bercer par ces quelques notes de Jocelyne BEROARD!

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Parlez-nous de l’icone que vous êtes devenue !

Je n’avais pas prévu d’être chanteuse… dans mon éducation, être artiste signifiait « pas sérieux »,  et mourir de faim. J’ai eu un Bac scientifique, et ai fait des études de pharmacie que j’ai abandonnées deux ans après pour les Beaux Arts qui m’ont amenée à Paris. Là, j’ai retrouvé mon frère Michel musicien qui m’a introduite dans le milieu de la musique afro-caribbéenne et je me suis retrouvée à ne faire que ça. J’ai été d’abord choriste professionnelle tout en chantant en solo dans les piano-bars, du jazz, de la bossa et de la musique traditionnelle antillaise (biguine et mazurka avec une pointe de jazz). Je chantais aussi dans les bals d’associations. Je n’ai pas participé au premier album de Kassav, mais l’ai entendu et ai su que c’était la direction que je voulais prendre.

A Paris, comme plus jeune au pays, j’écoutais toutes sortes de musiques mais avais pour objectif de faire progresser la notre qui n’était connue que sous des aspects doudouistes ou folkloriques. Une chanson de Henry Gueydon « Son tanbou-a » m’avait réconfortée dans mon amour pour le tambour et lorsque quelqu’un jouait du gwoka dans le métro cela me touchait . Kassav sur ses deux premiers albums avait les tambours en avant parce que l’objectif était de nous ramener à nos musiques initiales, bèlè et gwoka pour créer un style nouveau et non aller copier celui de l’autre. Entendre ce premier album m’a attachée à Kassav et lorsqu’ils m’ont appelée j’étais la plus heureuse. J’ai beaucoup appris avec eux. 

L’objectif de Kassav était de créer un style qui nous ressemble et la réunion de toutes ces personnes venant d’horizons divers nous a permis d’apprendre les uns des autres et de progresser ensemble. J’étais un peu complexée face à ces hommes qui avaient l’habitude de la scène sur le devant et je mettais les bouchées doubles. Très vite, je suis passée de choriste à soliste. Ayant toujours été fanatique de voix particulières chantant des textes costauds, j’ai plutôt embrassé la partie écriture plus que les arrangements musicaux où excellaient mes copains de Kassav. Comme le créole était aussi très important dans notre démarche, cela m’a obligée à connaitre un peu mieux ma langue et la sublimer.  Chanter un beau texte permet de ressentir des émotions plus fortes qu’avec un texte insipide. Il était donc important que je soigne l’écriture afin d’augmenter mon plaisir sur scène.

Comment avez-vous fait de Kassav un groupe intergénérationnel et qui plait encore aujourd’hui ?

Nous avons tâché d’être vrais, authentiques. Ne pas ressembler même furtivement à l’autre mais lui  proposer  de nous découvrir,  de découvrir notre richesse culturelle et d’accepter que  aussi qu’il nous livre qui il est. Nous ne sommes pas en compétition, mais dans un échange qui nous rassemble en nous enrichissant mutuellement sans dénaturer l’autre. Mes goûts musicaux sont ultra variés, et je m’amuse aussi de temps en temps à faire celle de l’autre, mais si je dois évoluer dans le monde, c’est mon héritage musical que je trimbale et qui me rend forte car unique face à l’autre. Je crois que la philosophie de Kassav a été pour tous la même et que c’est ce lien qui nous a maintenu ensemble à ce jour. Nous devions travailler ensemble pour atteindre un but, nous n’avons mis que cette énergie en branle, le reste devenait superflu. C’est sans doute cela qui est la force du groupe et nous a fait gagner et durer dans le temps. Nous n’avons fait qu’une chose : rester nous même et dire aux autres que c’est le meilleur qu’on puisse leur offrir.

Comment êtes-vous parvenue à conserver une telle humilité face à l’icone que vous êtes?

Pourquoi serais-je différente ? J’ai des doutes et y travaille, j’ai des colères et y travaille, des manques et apprends à compter ce que j’ai déjà pour être heureuse. Je vis à la Martinique et chaque jour, je constate que les gens ont du bon, savent partager, soutenir, sourire. Ceux qui ont du mal à faire ces choses ne méritent pas d’être lâchés mais soutenus ou conseillés s’ils le désirent. Pourquoi serais-je différente parce que je passe à la télé ou monte sur scène ? Je viens d’ici et j’ai la chance de pouvoir y vivre alors je dis bonjour aux autres, parce qu’un sourire, une petite attention  peut adoucir une peine que nous ignorons, peut changer une mauvaise pensée, peut simplement faire du bien. Je crois que nous passons sur terre pour participer à l’amélioration des choses, ne serait ce qu’une fois et pour une seule personne. Le faire en plus grand nombre, si on peut, si on a cette chance, c’est une bénédiction alors cela ne doit pas nous changer mais simplement nous amener à dire sans cesse merci à la vie, aux gens, aux oiseaux, à l’univers.

Quel est votre rapport avec la jeunesse?

J’ai eu des neveux et des petits neveux et crois être restée très proche d’eux et à leur écoute. J’en fais de même dans le milieu musical. J’écoute, j’observe, j’apprends d’eux et suis ouverte s’ils ont besoin de mes conseils. Je ne supporte pas la cassure, la scissure orchestrée par les médias, car chacun a à apprendre de l’autre parce que cela évite de faire les mêmes erreurs. Je ne comprends pas qu’on n’écoute pas ce qui date parce qu’on a peur d’être hors de la mode. Ce qui était avant, enrichit et inspire pour faire évoluer les choses. Rien ne part de rien. J’ai eu la chance d’avoir une grande famille et nous avons toujours eu du plaisir à écouter les aînés. De plus, savoir ce qu’ils ont enduré ou traversé permet de mieux les comprendre et les apprécier. En Afrique, on dit qu’un vieillard qui meurt c’est une bibliothèque qui brûle. Et en tant qu’adulte devenant aînée, je dirais que nous devons rester proches des jeunes, le plus possible, pour mieux les comprendre, les aimer et les guider. Les jeunes de Martinique sont beaux.  Je les regarde passer et ai souvent envie de les photographier. Ils me rappellent ma jeunesse, alors ils me font sourire avec tendresse.

Aujourd’hui, avec l’expérience et le recul, quels seraient les conseils que vous donneriez aux jeunes qui préparent leur avenir professionnel?

J’ai juste envie de leur dire de ne pas se tromper de chemin et de rester forts. Faire un choix nécessite de bien réfléchir. On ne fait pas un métier pour avoir de l’argent et acheter des choses matérielles. On fait un métier parce qu’on a envie de s’épanouir, s’investir, et les choses matérielles arriveront de toute façon. On participe au développement du pays alors c’est tout son être qui devrait s’engager. Ne pas être inutile est une priorité. Exercer un métier avec amour est sans doute facile à dire, mais faisable si on apprend à faire la moindre des choses de tous les jours avec amour. Lorsque l’on baigne dans l’agacement, on ne fait rien de bon. Lorsque l’on fait bien quelque chose c’est toute une vibration positive qui s’opère et notre vie change.  On voit plus loin et on a l’énergie de tout faire pour atteindre son but.

Le métier d’artiste est souvent mal perçu (insécurité financière, instabilité géographique, plutôt une passion et non un métier). Pouvez-vous nous exposer votre point de vue notamment pour ceux qui envisageraient ce type de carrière?

Premier plan, assurer ses arrières. Si ça ne marche pas, que puis-je faire d’autre ? Et se dire surtout que pour que ça marche il faut être vrai, soi-même et travailler son art sérieusement parce que ceux qui réussissent ont souvent beaucoup travaillé. Etre patient, généreux parce qu’on donne, on se donne. Etre prêt à faire des sacrifices parce que ce métier s’empare de vous. Etre reconnaissant lorsque tout va bien et ne pas s’inquiéter de ce que pense l’autre, car ce sont plus souvent les mauvaises choses qui nous parviennent. Il faut savoir se placer au dessus de ces bruits  en gardant toujours l’envie de continuer à faire.

Pour finir, aimer son métier en tâchant de déceler le superficiel qu’il apporte des fois, sans s’émouvoir. Et comme dirait Esy… devenir « an solda lanmou » !

Sur cette note finale, nous vous invitons à redécouvrir ce qui rythme notre quotidien car sans musique nous ne ferions qu’exister. Avec elle, nous vivons! 

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